Faut-il limiter le chômage dans le temps ?

Non. L’instauration de la dégressivité répond à une autre logique. Et compte tenu de notre marché de l’emploi, la mesure aurait une efficacité fort limitée.

En Europe, la Belgique cultive une particularité : le droit à percevoir des allocations de chômage n’est pas limité dans le temps. Du moins, officiellement (lire ci-dessous). N’est-ce pas là une cause de la « rigidité » de notre marché du travail ? Les chômeurs ne seraient-ils pas incités à retrouver plus vite un emploi s’ils connaissaient d’emblée le terme de leur droit aux allocations de chômage ?

« Les études réalisées en Suisse et en Autriche notamment, montrent qu’à l’approche de la fin de la période de chômage, le taux de retour à l’emploi remonte, explique Mathieu Lefebvre, professeur d’économie à l’ULg. Les gens se sentent au pied du mur. Mais les effets positifs sont limités et ne s’appliquent pas à tous. » L’« incitant » fonctionne surtout avec les demandeurs d’emploi qualifiés, dans les sous-régions où le taux de chômage reste faible, complète Isabelle Dejemeppes, économiste et rédactrice de la revue de l’Ires (UCL). Pour les chômeurs de longue durée – « 57 % des demandeurs d’emplois wallons sont au chômage depuis plus d’un an », note-t-elle –, la mesure s’avérerait inefficace.

Bref, la mesure pourra avoir un impact en Flandre et dans une partie du Brabant wallon, mais ne collerait pas à la réalité du marché de l’emploi du reste de la Wallonie et de Bruxelles. « Vouloir limiter dans le temps les allocations de chômage voudrait dire que c’est le système actuel qui est responsable du niveau de chômage structurel. Or notre système dégressif donne des résultats différents en Flandre et en Wallonie. C’est donc se tromper de cible. Et puis, il y a déjà un système de fin de droit mais qui est conditionnel car lié à la recherche d’emploi, fait remarquer Isabelle Dejemeppes. Notre système est plus juste car il tient compte des efforts effectifs fournis par le chômeur pour chercher un emploi. »

De surcroît, la prétendue efficacité d’une telle mesure reposerait sur un postulat que conteste l’économiste Philippe Defeyt, responsable de l’Institut pour le développement durable (IDD). « Des personnes sont supposées accepter plus facilement un travail puisque le différentiel entre le salaire proposé et l’allocation de chômage devient plus attractif, commente-t-il. Mais cela ne tient pas la route car la plupart des emplois proposés actuellement sont des emplois à temps partiel. » Dès lors, les demandeurs d’emploi perdent de l’argent en acceptant d’aller travailler. D’autant que, dans le même temps, le droit à un complément d’allocation de chômage pour les travailleurs à temps partiel, a subi de sérieuses restrictions. C’est d’ailleurs un des autres aspects que soulignent les trois économistes : les pièges à l’emploi. Le chômeur qui retrouve du boulot se voit privé de certains « avantages », comme les allocations familiales majorées. S’ils retrouvent un boulot rémunéré au salaire minimum ou un travail à temps partiel, ces personnes voit leur pouvoir d’achat réel reculer. « Et puis, aucune limitation des allocations de chômage ne créera jamais un emploi supplémentaire, souligne Philippe Defeyt. Or c’est de cela que l’on manque le plus. Il faut arrêter de faire croire

qu’il suffit de le vouloir pour trouver un emploi à temps plein. C’est statistiquement impossible. Et il est injuste de faire peser sur les plus faibles cet échec collectif à créer de l’emploi. C’est notre système qui est au bout de sa logique. »

« Si l’offre d’emplois ne suit pas, les gens vont perdre leurs allocations mais ne vont pas trouver d’emploi », confirme Mathieu Lefebvre, plaidant pour qu’on améliore plutôt l’employabilité des chômeurs par la formation et les incitants. « Il faut diminuer le coût du travail pour les personnes les moins qualifiées et lutter contre les pièges financiers à l’emploi, tout en améliorant la formation afin qu’elle puisse être plus rapidement valorisée sur le marché du travail », complète Isabelle Dejemeppes.

Dernier point soulevé par les trois économistes : le transfert de charges au sein de l’Etat. Exclure un chômeur chef de ménage ou isolé, c’est l’envoyer vers le CPAS (qui devra bientôt l’inscrire comme demandeur d’emploi) pour qu’il perçoive le RIS. Ce faisant, la solidarité n’est plus assumée par le fédéral mais par les communes et les Régions. Le début d’une régionalisation de l’assurance chômage.

LORENT,PASCAL

 

Article: lesoir.be

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