Lettre d’un « Inemployable Volontaire »
Courrier adressé à l’Onem (Office National de l’Emploi – Organisme belge chargé du suivi et du contrôle des demandeurs d’emploi)
Madame la facilitatrice, Monsieur le facilitateur,
Si je vous remets cette lettre aujourd’hui, c’est pour partager avec vous mes expériences, mes réflexions, mes recherches sur le plan d’accompagnement des demandeurs d’emploi et plus largement sur la problématique du chômage.
En effet, après de longs mois passés à rechercher un emploi en vain, j’ai commencé à me poser des questions sur le marché du travail.
Ce que j’ai découvert ne m’a pas surpris et je pense que vous ne serez pas non plus étonné par ce que je vais vous exposer ci-dessous.
1. Le plein-emploi
« Le plein emploi est une situation d’une zone donnée dont le chômage est réduit au chômage de transition (c’est le chômage de faible durée existant entre l’arrêt d’un emploi et le début d’un autre). Il n’existe alors pas de difficulté particulière à trouver un emploi. »
Celà sous-entend que le nombre d’emplois disponibles est au moins égal au nombre de demandeurs d’emploi. Aujourd’hui en Wallonie il y a environ un rapport de 1/10 entre le nombre d’emplois disponibles et le nombre de demandeurs d’emploi. On ne peut que constater dans ces conditions que nos tentatives d’offrir un emploi à toute personne potentiellement active est en fait une douce utopie.
Si il est toujours possible de trouver un emploi en Wallonie, c’est simplement la conséquence de la mobilité du travail dont la cause est parfois la motivation personnelle du travailleur, mais bien plus souvent cette mobilité est engendrée par la précarité des nouveaux contrats de travail : remplacements, CDD, réinsertion, dont le PFI, l’Activa et autres contrats win-win qui offrent à l’employeur potentiel une force de travail à coûts bas grâce aux aides financières de la Région. Mais qui par son aspect temporaire encourage l’employeur à renouveler plus fréquemment son personnel afin de continuer à bénéficier des aides accordées.
Extrait d’un article paru sur le site de la rtbf et écrit par Pierre-Yves Ryckaert:
« Parmi les remèdes inefficaces présentés inlassablement par nos décideurs comme » la » solution à tous nos problèmes socio-économiques, l’idéologie du plein emploi a la dent dure. S’il y a bien quelque chose qui fait l’unanimité à droite comme à gauche (syndicats en premier), c’est le mythe du plein emploi. Pourtant une analyse pragmatique nous amènerait immanquablement à la conclusion qu’il s’agit d’un rêve hors de portée. D’une part, parce qu’une croissance matérielle exponentielle n’est pas soutenable, d’autre part, parce que la productivité augmente sans cesse diminuant toujours plus l’emploi nécessaire pour la même quantité produite et générant ainsi un chômage structurel. Devrions-nous alors détruire les machines qui nous entourent ou diminuer notre productivité pour atteindre ce mythe? Nous sommes dans une situation paradoxale : la richesse créée et la productivité n’ont jamais été aussi élevées mais il faut pourtant nous rendre à l’évidence, le système actuel ne permet plus de faire vivre dans la dignité l’ensemble des individus qui le compose. »
2. Le chômage structurel
Il est très étonnant de constater que malgré la progression constante du chômage depuis maintenant plusieures décénies, aucun gouvernement national, ni aucune politique européenne n’a su enrayer cette spirale.
Le partage du temps de travail, le revenu de base, et bien d’autres exemples de proposition de résorbtion du chômage n’ont même jamais été examinées .
Aujourd’hui on s’obstine à exiger de chaque demandeur d’emploi qu’il trouve un travail, même si, comme nous l’avons vu dans le premier paragraphe, du travail (ou plutôt de l’emploi, NDLR) il n’y en a pas.
Quelle place occupe le chômage dans notre société ? A qui profite le chômage ?
Quand on pose cette dernière question, la réponse la plus évidente est que ce sont les bénéficiaires des allocations qui profitent le plus du chômage.
Et pourtant le montant des allocations ne nous autorise pas à dire que l’allocataire tire quelconque « profit » de cette situation de survie matérielle.
En réalité, le chômage est structurel et institutionalisé. On peut dire sans se tromper que le fait de maintenir un taux de chômage fixe à environ 10% de la population active est en réalité un mécanisme volontaire de stabilisation des salaires et de l’inflation.
En effet, il n’est pas difficile de comprendre que le taux de chômage donne un avantage considérable à l’employeur qui désire embaucher au moindre coût. Le chômage exerce une pression vers le bas sur les salaires (en particulier sur les bas salaires). Il donne la main à l’employeur, qui imposera les conditions de travail (et donc le futur salaire) sans négociation préalable.
Ce salaire sera considéré comme « suffisant » dans la mesure où il dépasse les allocations d’environ 10%, entrainant un nouveau phénomène, celui des travailleurs pauvres.
Plus les allocations de chômage seront maigres et plus les bas salaires se répandront.
Donc, ceux qui condamnent ouvertement le principe des allocations de chômage sans limite dans le temps (FEB, MEDEF,..) sont également ceux qui en profitent le plus. Un taux de chômage conséquant leur offre la possibilité d’imposer les conditions de rémunération.
En outre, le chômage maintient un faible taux d’inflation. En effet, si l’ensemble de la population active était occupée à l’emploi, chacun aurait un revenu issu du travail et il y aurait donc plus de monnaie en circulation. Celà provoquerait une hausse de l’inflation et donc une hausse des prix des biens de consommation (ainsi qu’un éffondrement de l’épargne et du Capital, NDLR). Le taux de chômage à environ 10% de la population active est en réalité désiré par ceux qui ont pour mission de contenir l’inflation. En l’occurence il s’agit de la principale mission de la BCE, qui n’hésite pas à reconnaitre les faits que je viens de décrire ci-dessus. Ce mécanisme s’appelle le NAIRU (taux de chômage n’accélérant pas l’inflation).
3. Hausse de la Productivité et Réduction du temps de travail.
Si l’on s’interesse quelque peu à la philosophie du travail, on se rend compte que l’homme a toujours voulu se décharger du travail. L’ère industrielle nous a apporté un outil magnifique qui, à l’époque, était une raison d’espérer une diminution du temps de travail (et donc la possibilité de partager le travail de manière équitable): le progrès technique.
En effet, la hausse de la productivité (du à l’amélioration des outils de production) aurait pu bénéficier aux travailleurs (c’est d’ailleurs les promesses qui étaient avancées il y a 60 ans). Au lieu de ça, la hausse de la productivité a eu pour principale conséquence d’augmenter les profits des agents détenant déjà les capitaux.
Dans ce contexte il est aussi étonannt de constater que les entreprises ne cessent de bénéficier d’aides diverses (aide à l’embauche, éxonération fiscale,..) tandis que les allocataires sont mis sous pression par le plan d’accompagnement qui nous concerne aujourd’hui.
4. Crise économique et sociale
La crise de la dette publique a eu pour conséquence la révision du budget et les mesures de rigueur et d’austérité sociale. Ces mesures contrastent avec les plans de sauvetage du secteur bancaire et l’absence d’une juste politique fiscale envers les multinationales implantées sur notre territoire et qui bénéficient de différents avantages fiscaux (avantages qui ne s’appliquent qu’aux grandes entreprises, créant par la même occasion une injustice face aux PME)
Drôle de situation donc où on demande des comptes aux plus démunis alors que ceux qui profitent de la situation sont félicités.
On notera qu’aujourd’hui, 21 000 milliards de dollars sont à l’abri de l’imposition dans des paradis fiscaux.
Cette crise nous touche tous, que ce soit au niveau de nos projets professionnels, de la qualité des services publics, de notre pouvoir d’achat et même de l’organisation de notre vie de famille.
Pour les allocataires sociaux, la situation est critique et au vu du prix des logements et des biens de première nécessité, le fait de sanctionner une personne déjà démunie financièrement serait une triste décision.
De grands défis nous attendent et il est bon de se demander si nos actions, au quotidien, tendent vers un avenir meilleur, ou au contraire entretiennent les injustices d’un système qui tient plus compte des marchés boursiers que du bien-être des citoyens.
De par votre statut, vous pouvez décider d’agir en votre âme et conscience et ainsi participer aux prémices d’une alternative pour notre avenir à tous. Nous sommes tous concernés. Nos actes peuvent changer les choses, n’en doutez jamais.
En effet, malgré la mission qui vous a été confiée dans le cadre de votre contrat de travail, je pense qu’il serait heureux de garder un point de vue critique sur les causes et les conséquences du travail de contrôle administratif que des centaines d’employés administratifs sont amenés à effectuer pour le compte de l’Onem. L’Onem répondant, pour sa part, à des directives politiques venant de nos décideurs nationaux et européens et qui sont largement remises en cause aujourd’hui.
Constitution Belge : Art. 23 :
« Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. Ces droits comprennent notamment : 1° le droit au travail et au LIBRE CHOIX d’une activité professionnelle…«
Déclaration universelle des droits de l’homme : Article 23 :
« Toute personne a droit au travail, au LIBRE CHOIX de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage. »
OIT : Convention (n° 29) sur le travail forcé, 1930 : Article 1 :
« Tout Membre de l’Organisation internationale du Travail qui ratifie la présente convention s’engage à supprimer l’emploi du travail forcé ou obligatoire sous toutes ses formes dans le plus bref délai possible. »
Je crains de ne pouvoir vous convaincre qu’après avoir pris connaissance de tout ceci, je suis dans l’obligation morale de poser un acte de résistance face à une procédure administrative sans fondements qui, malgré ses intentions de « remotivation », provoque inéxorablement une stigmatisation d’une minorité sociale déjà méprisée par une majorité des citoyens.
Sans oublier les conséquences individuelles sur chaque demandeur d’emploi sanctionné pour son manque d’ardeur à chercher un emploi. Conséquences qui seront tout aussi bien matérielles que psychologiques.
La vie nous a créés tous différents et la différence est une richesse que nous pouvons cultiver.
L’objection de conscience est par ailleurs une obligation que l’on s’impose face à un problème éthique qui nous semble trop important pour ne pas être pris en compte.
Je voudrais donc vous encourager à envisager mon dossier avec toute la compréhension utile et nécessaire.
Peu importe la décision que vous prendrez à la fin de votre entretien, j’espère de tout mon coeur que vous tiendrez compte de ce courrier dans vos décisions futures et dans votre travail au quotidien.
C’est pourquoi j’ai décidé de me présenter à vous aujourd’hui, non pas avec mon dossier de recherche d’emploi, mais bien avec cette lettre chargée de mes seules convictions.
Je ne m’attend pas à éviter la sanction. Aujourd’hui je suis près à l’accepter car j’ai agi en mon âme et conscience.
Veuillez recevoir, madame, monsieur, mes amitiés les plus sincères.
Un Inemployable Volontaire.