La flexibilité profite essentiellement aux employeurs mais elle a ses limites
Les conditions de travail ont fortement évolué ces 30 dernières années. Aujourd’hui, « on est passé d’une logique de temps de travail limité à une notion de disponibilité temporaire », explique Esteban Martinez, professeur de sociologie du travail à l’Université libre de Bruxelles (ULB). Autrement dit, les travailleurs doivent être disponibles quand l’employeur a besoin d’eux mais sans, pour autant, être payés pour cette flexibilité.
Pour ce sociologue, le temps de travail s’est fortement « déréglementé » depuis les années 80′. On est désormais très loin de cette époque où des sirènes annonçaient le début et la fin du travail. Si les horaires sont devenus moins homogènes et moins contraignants, il faut se poser la question, dit-il, de savoir si ce relâchement profite aux entreprises ou aux salariés.
Pour ce chercheur rattaché au centre de recherche METICES et qui a réalisé un certain nombre d’enquêtes sur le temps de travail, la réponse est sans équivoque : « Au vu des évolutions que l’on connait, quand on fait le bilan de ce qu’on gagne en flexibilité et les contraintes supplémentaires que cela engendre, il est clairement déséquilibré à l’avantage des employeurs« . Autrement dit : « Temps de travail et flexibilité visent surtout à améliorer la performance des entreprises« .
Loin de lui l’idée de vouloir critiquer le principe même de la flexibilité au travail mais plutôt de dénoncer ses excès. Des excès qui, selon Esteban Martinez, ont « des conséquences sur la qualité de la vie au travail et la qualité de vie dans son ensemble« .
La difficulté d’allier temps de travail et activités sociales
Les travailleurs sont de plus en plus souvent confrontés à de longues journées de travail et à des horaires irréguliers qui sont en décalage avec la vie sociale, explique-t-il. Par exemple, lorsqu’il faut aller chercher les enfants à l’école ou à la crèche et que cela ferme à 18h, cela peut poser des difficultés; trouver le temps de faire ses courses en est un autre.
« Et cela prend une importance toute particulière aujourd’hui d’autant plus que de plus en plus de femmes sont à notre époque au travail« , dit-il.
Autrefois, si les femmes assumaient l’entièreté des obligations familiales pendant que le mari se chargeait de travailler pour nourrir la famille (même si aujourd’hui comme hier, certaines femmes assument les deux, précise-t-il), ce n’est plus vraiment le cas de nos jours. La femme comme l’homme travaillent et pour ces personnes, c’est devenu de plus en plus difficile de faire face à toutes leurs obligations. « Ce qui met en tension la famille« .
« Ces tensions expliquent le succès des titres-services et toutes ces formes d’externalisation du travail domestique« , affirme-t-il. Mais seuls ceux qui ont les moyens, peuvent en profiter.
Une flexibilité très mal payée
Flexibilité n’implique pas forcément de longues journées de travail, précise le sociologue. Et de prendre en exemple les intérimaires : des personnes qui très souvent ont un temps partiel alors qu’elles souhaiteraient un temps plein, pour pouvoir réussir à nouer les deux bouts. Des personnes, aux contrats précaires (souvent sous contrat à la journée) dont profitent les employeurs en exigeant d’eux une disponibilité de tous les instants, sans en payer le prix.
Le piège du télétravail
Autre exemple cité par le sociologue : le télétravail. « Le temps de présence sur les lieux de travail a de l’importance pour les collègues, la hiérarchie, même si de plus en plus les gens ne sont pas contrôlés sur leur lieu de travail« . En d’autres termes, « le travail répond toujours à cette logique qui est d’être apprécié en fonction d’un temps visible passé au travail« .
Or, dans le cas du télétravail, le boulot que fournit le travailleur reste « invisible » et on observe chez ces personnes une « tendance à en faire plus que ce qu’on leur demande habituellement pour compenser le fait qu’ils ne sont pas visibles. Ils se sentent obliger de donner des garanties en quelque sorte » car « c’est considéré comme sorte de privilège d’avoir cette marche d’autonomie » et donc ils se sentent redevables.
Cadres ou employés supérieurs, les effets pervers
Le travail des cadres, que l’on appelle aussi « employés supérieurs », n’est pas mesuré en fonction du nombre d’heures de travail mais en fonction de la réalisation de leurs objectifs, explique-t-il.
Ce qui est paradoxal, selon lui, car ce sont ceux qui, généralement, « font les plus longues journées de travail, qui ne récupèrent pas en général les heures de dépassement car elles ne sont pas considérées comme des heures supplémentaires« .
Certains, qui ne sont pas encore cadre, optent intentionnellement pour ce genre d’attitude, dans l’espoir d’un jour pouvoir exercer une fonction plus importante. Et on se rend compte que certains employeurs fixent des objectifs de plus en plus difficile à réaliser dans un cadre horaire raisonnable.
Or, ces longues journées de travail « n’apportent pas plus d’efficacité mais plus d’inefficacité« . Et pour le reste, « l’entreprise bénéficie gratuitement de cette offre de disponibilité qui émane du personnel et qui s’inscrit dans une perspective de carrière« .
Un présentéisme loin d’être souhaitable
Autre constat inquiétant, selon Esteban Martinez : « L’obligation que les personnes ont de se rendre au travail alors qu’elles sont malades« .
Une étude européenne datant de 2010 montre que 4 travailleurs sur dix se sont présentés au travail alors qu’ils étaient malades.
Ce que le professeur de l’ULB explique par une précarisation des statuts d’emploi (difficile de rester à la maison quand on sait qu’on ne sera pas payé si on ne travaille pas) mais aussi par la peur d’être sanctionné.
Ce qui n’est pas logique selon lui. « D’une certaine manière un emploi de qualité est celui qui permet aux personnes d’être malade« .
D’autre part, le sociologue s’interroge sur l’efficacité réelle de ces personnes malades au travail : « S’ils sont malades, ils ne vont pas être très efficaces« .
Incapacité de travail et performance
« Au final, on arrive à des situations de stress, voire des ‘burn-out‘ », explique Esteban Martinez. Pour lui, les employeurs tirent trop sur la ficelle. « Quand on est dépassé par le travail, on arrive à des formes pathologiques et cela se traduit pas des dépressions« .
D’ailleurs, « l’Inami a sorti récemment des chiffres alarmants montrant l’explosion des incapacités de travail. Des incapacités qui sont dues à des facteurs psychosociaux et pas seulement à un accident de travail« .
« De ce point de vue le relâchement des règles en matière des règles de travail peuvent avoir des conséquences directes sur les individus qui vont les pousser à s’absenter et pose question sur la performance globale« , poursuit-il. Une déficience qui pourrait à l’avenir coûter très cher à notre société.
C. Biourge
Article: RTBF.be
Que dire alors du personnel des maisons de retraite…
Très souvent la fonction d’auxiliaire de soins devient quand elle travaille de nuit : Soignante en courant d’un malade à l’autre,
Cuisinière pour éplucher et préparer les légumes pour le repas du lendemain et les petits déjeûner des malades,
Nettoyeuse afin que les sols brillent le matin,
Lavandière afin de rincer le linge et faire tourner les laves-linges toujours de nuit, repasseuse et j’en passe…
Toujours sans contrôle bien sur et payée au minimum pour toutes ces fonctions.
Cela se passe dans presque toutes les petites maisons de retraite.
Mais le personnel n’ose pas en parler, car ce sera la perte de son emploi plus que certainement.
Je peux parler d’expérience à ce sujet 😉