Une couverture sociale, c’est mieux qu’une couverture en laine

L’hiver a un mérite : il ouvre, surtout s’il y a grand froid, une brèche dans l’indifférence ou, chez d’autres, une pause dans la condamnation des pauvres.

L’opération « Hiver 2012 » de la RTBF a rappelé que, au-delà du SDF sur son tas de cartons, la pauvreté est pour l’essentiel invisible, qu’elle se cache le plus souvent dans les logements, où le froid peut être terrible. Les assistants sociaux des CPAS connaissent bien ces logements humides, mal isolés, aux appareils de chauffage défectueux ou privés de combustible, où le gaz ou l’électricité ont été réduits au minimum pour défaut de paiement. Sans compter que, si les pauvres consomment moins, la part de leurs revenus consacrée à leur facture énergétique est plus importante. Leurs revenus n’augmentent pas au printemps et le montant des loyers ne fond pas avec le redoux. Pas plus que les discriminations dans l’accès au logement. Les femmes seules avec enfants en savent quelque chose. Et si elles ont un teint exotique, c’est encore pire.

La pauvreté est aussi insupportable en été qu’en hiver, parce qu’il est insupportable de passer sa vie à jongler avec des ressources insuffisantes pour faire face aux dépenses de base, à refuser systématiquement à ses enfants ce que la publicité s’échine, à coup de milliards, à rendre désirable, à ne pas pouvoir payer leur participation aux classes vertes ou de neige. Parce qu’il est humiliant, mauvais pour la santé mentale et physique, de s’entendre reprocher de vivre aux crochets de la collectivité, d’être contraint à la débrouille et à la ruse : un peu de noir, une aide financière familiale non déclarée, des artifices pour échapper à l’inacceptable statut de « cohabitant ». Ces petites fraudes de survie ne devraient pas être, mais les mettre sur le même pied que la fraude fiscale, quelle indécence !

Je ne suis pas certaine que les CPAS ont mesuré ce que ces appels radiophoniques à la générosité allaient provoquer comme confusion et complications. Ils ne sont pas équipés pour trier et stocker des vêtements et des couvertures ou des stères de bois de chauffage. Leurs travailleurs ont déjà bien du mal à traiter les demandes d’aide dans les délais légaux et les usagers à les trouver au bout du fil. Encourager les personnes à venir au CPAS si elles sont en difficulté, pourquoi pas ? Cela n’a en effet rien de déshonorant. Mais pour éviter les désillusions et les colères, il faut aussi expliquer que l’aide des CPAS n’est pas automatique. Notamment du fait de la loi. Cette aide est soumise au respect d’une série de conditions et donne lieu à une enquête sociale préalable ; cela prend du temps et peut aboutir à un refus d’aide.

Sauf à être complice de l’hypocrisie des puissants, il s’agit de montrer les mécanismes qui créent la pauvreté et la précarisation, celle des femmes notamment, parce que la pauvreté n’est pas le fruit du hasard ou de la malchance. Parce que, comme l’écrit sur son blog mon amie Irène Kaufer, « une couverture en laine, c’est bien, une couverture sociale, c’est mieux ». Parce qu’il est inacceptable que les petits salaires de trop de travailleurs, les pensions, les allocations sociales ne permettent pas de se loger décemment dans les grandes villes.

Un lit en urgence en hiver donne un abri pour 9 heures, et c’est mieux que la rue, mais un logement assure un foyer pour 9 ans.

Bousculons le « prêt-à-penser ». Elargissons le débat sur la pauvreté au débat sur la richesse et sa répartition de plus en plus inégale.

Nous sortons d’une année européenne de lutte contre la pauvreté où les discours ont fleuri. Que n’a-t-on entendu comme engagements à réduire le taux de pauvreté ! Mais de qui se moque-t-on quand la même Europe impose et quand les gouvernements se laissent imposer des mesures telles que la fameuse Règle d’Or qui va aggraver la pauvreté parce que les efforts sont injustement répartis. Ne faudrait-il pas briser les tabous et arrêter de dire, sur le ton de l’évidence, que l’on comprend les inquiétudes de la population mais qu’il n’y a pas d’autre choix possible ? Les mesures que l’on prend en ce moment, par exemple la diminution accélérée des allocations de chômage, aggraveront la pauvreté. C’est inévitable. A moins qu’on se décide enfin à inverser des choix prétendument inévitables.

 

n.c.

 

Article: lesoir.be

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