« Salauds de pauvres, nième… »

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Nous avons donc appris, et nous avons sursauté aussi en l’apprenant, que notre monde, qui vit aujourd’hui son overshoot day­— le jour où toutes les ressources de la planète ont été épuisées— compte désormais plus de personnes en surpoids que de gens sous alimentés.

On comprend peut-être alors un peu mieux pourquoi cet overshoot day survient chaque année un peu plus tôt… Non, ce n’est pas fair-play de dire cela. Et pas trop exact non plus, d’ailleurs.

Dans une étude présentée à New Delhi la semaine dernière, la Croix-Rouge a donc révélé ces statisitiques surprenantes : « En 2010, 1,5 milliard de personnes souffraient d’obésité tandis que 925 millions d’autres souffraient de malnutrition ». C’est-à-dire, si l’on compte bien, près de deux milliards et demi de malnourris car, à ce que l’on sache, l’obésité aussi est une malnutrition, mais à l’envers.

Le Secrétaire général de l’organisation, l’Ethiopien Bekele Geleta, a commenté ces résultats en ces termes : « Si la libre interaction du marché a abouti à une situation où 15% de l’humanité a faim tandis que 20% est en surpoids, il y a quelque chose qui n’a pas marché quelque part ». Et c’est vrai, mais peut-être pas tout à fait où l’on pense car d’autres recherches posent aussi l’hypothèse que les enfants sous-alimentés seraient prédisposés, pour une question de mauvaise oxydation des graisses, à devenir « plus facilement » obèses à l’âge adulte. Ce qui rend évidemment l’affaire encore un peu plus complexe. Ou la rend largement plus limpide : la lutte n’est pas entre les gros et les maigres, elle est entre les riches et les pauvres, c’est-à-dire dans le partage de la nourriture, dans la qualité de l’alimentation et dans les profits que l’on peut faire de l’une et l’autre de ces malnutritions.

A ce que l’on voit, ces temps-ci, le cynisme semble à peu près égal. Peu nous chaut en effet que les maigres lointains meurent, nous nous chargeons déjà de faire mourir les gros que nous avons à notre portée. On veut dire : l’obésité, c’est tout de même un marché magnifique où l’industrie pharmaceutique est suspectée de produire — Mediator, Alli ou Xenical — de quoi générer à la fois des effets secondaires graves et des décès nombreux.

Mais bon, à côté de ces conséquences spectaculaires, le scandale est sans doute tout aussi bien dans cette alimentation industrielle aux vices cachés et goûteux dont la chercheuse espagnole Esther Vivas rappelait récemment qu’elle se montrait à la fois incapable de nourrir tout le monde — ne réussissant pas à juguler la sous-alimentation — et inapte à nourrir correctement tout le monde — produisant de l’obésité… Ce qui dans les deux cas concerne, dit-elle, les secteurs les plus précaires de la population mondiale.

De sorte que, en cet overshoot day, nous pouvons conclure que la faute des pauvres est, de nouveau, entière et totale. Parce qu’ils ne sont pas assez pour manger peu et trop nombreux à manger trop. Allez, belle soirée et puis aussi bonne chance.

Paul Hermant

 

Article: La Première (RTBF)

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