Le manuel du chômeur décomplexé

Le chômage est toujours synonyme de malheur, de honte, de marginalité ou de déchéance. Alors qu’il sévit depuis la révolution industrielle (et même avant), on refuse volontiers d’en parler : c’est bien pourquoi il reste un TABOU… Un de plus à briser ?

A partir des années 60, les femmes ont commencé à se battre pour leurs droits. Dans les années 70, on a parlé de « libération sexuelle » et tout le monde en a bénéficié, y compris les hommes. Les carcans ont volé en éclats : ce fut une révolution des mœurs que peu de gens récusent. Aujourd’hui, il reste encore un sacré boulot à accomplir en ce qui concerne l’amélioration de la condition féminine, mais les choses du sexe sont bien moins taboues qu’il y a un demi-siècle.

Espérons qu’il n’y aura pas à attendre trop longtemps pour que les chômeurs dénoncent enfin massivement leur condition sur la place publique !!!
Transposons les années 70 à maintenant : disons que les chômeurs sont les femmes, et que les non-chômeurs sont les hommes. Si, au lieu de continuer à subir et se taire dans la honte, les chômeurs prenaient conscience de leur assujettissement à une société salariale qui les a exploités puis exclus pour des raisons occultes, s’ils ouvraient les yeux et décidaient enfin de sortir de leur isolement et de leur silence pour défendre leurs droits en tant qu’êtres humains comme les autres, victimes d’une injustice qui n’a jamais de véritable(s) responsable(s)… Certaines valeurs-piliers de notre société voleraient en éclats. Il y aurait une nouvelle révolution de mœurs – économique & sociale – que peu de gens récuseraient, finalement… car tout le monde en bénéficierait, y compris les salariés !

Trois décennies après, il restera encore un sacré boulot à accomplir en ce qui concerne la condition des sans-emploi, mais tout est laborieux en ce bas monde : c’est pour cela qu’il ne faut plus perdre de temps, et rester vigilants ! Hommes & femmes, salariés & chômeurs = même combat.

Notre société est fondée sur le travail

« Mon boulot, c’est ma vie »… Qui ne connaît personne tenant ce genre de propos (…peut-être vous-même ?). Qui n’a pas côtoyé des individus qui ont parfois perdu leur vie à la gagner ? Certains, en dehors d’une vie professionnelle, s’ennuient et se sentent « inutiles ». Si ce n’est parfois un excellent prétexte pour fuir des responsabilités familiales, un travail justifie et rythme l’existence de la majorité d’entre nous. Pourquoi ?

Si on ne travaille pas, on n’a droit à rien (sinon se taire et chercher un emploi). Découvert ou crédit bancaire, logement, intégration du bébé à la crèche ou de l’enfant à la cantine, grève, représentation sociale : sans justificatif de revenu salarié – comme si c’était encore fiable ! – ou de temps consacré à un travail, point de salut… Et il faut de bonnes excuses (maternité, maladie, invalidité, retraite) pour expliquer son « inactivité » sans être soupçonné de déviance. Vous êtes jeune et bien portant : vous devez bosser, sinon vous êtes suspect !
Comment, en plus, voulez-vous ne pas être persuadé que le travail est le symbole de la réussite quand, dès le plus jeune âge, on vous demande sans cesse quel métier vous voulez exercer plus tard (pompier ? maîtresse ? aviateur ?) et qu’ensuite devant la télé, en regardant des séries essentiellement américaines, vous constatez que les héros triment 24h sur 24 et n’iraient même pas prendre un petit arrêt maladie après s’être fait tabasser ?

Tel l’enfant qui ne supporte pas d’être différent des autres, l’adulte privé d’emploi a tendance à souffrir de sa non-conformité face au groupe. Cependant, s’il est normal que l’enfant se réfugie dans la masse, l’adulte, lui, est censé pouvoir vaincre ses peurs et apprécier l’anti-conformisme, non ?

On dit que l’oisiveté est mère de tous les vices, mais le travail n’a pas que des vertus : Le suggère son étymologie, du latin populaire tripaliare qui signifie torturer, tourmenter avec le tripalium, supplice infligé aux esclaves désobéissants (pendus tête en bas à un trépied, on les rouait de coups de bâton) ! Je trouve que les rapports sado-maso que nous entretenons avec le boulot sont ici bien évoqués… Dans la Rome Antique, le travail était déshonorant : les esclaves étaient là pour éviter cette humiliation à leurs propriétaires. Nous sommes donc des esclaves modernes.

Sujet d’actualité récurrent, n’oublions pas que la dépression fait rage dans le monde du travail. S’épanouir au boulot n’est pas donné à tout le monde ! Ajouté au stress galopant et aux conflits professionnels, souvent un problème personnel sera la goutte qui va faire déborder le vase car le travail est l’ultime bastion de résistance : pour lui, on supporte jusqu’à saturation tellement on a peur de le perdre…

Oeuvrer chaque jour contre rémunération pour les intérêts d’un entrepreneur ou d’actionnaires qu’on ne connaît pas, à chacun de juger si c’est aussi valorisant qu’on le clame. Les mères au foyer qui élèvent leurs enfants ne perçoivent pas de salaire et sont plus utiles à l’humanité que des vendeurs de téléphones portables. Une activité non lucrative ou non reconnue peut s’avérer plus épanouissante et justifiée qu’un véritable emploi : question d’appréciation.

Quand l’oisiveté est forcée, est-elle pour autant condamnable ?
Le travail est-il vraiment la source de tous les bienfaits de notre société ?
Pour réflexion, un extrait du film « Attention, danger : travail ! » de Pierre Carles avec une intervention de Loïc Wacquant, sociologue émérite : huit minutes magistrales.

Le chômage est injuste

Le chômeur se sent coupable et exclu. Mais pourquoi toute cette culpabilité quand on n’est pas responsable de sa situation ?

Je connais peu de chômeurs « volontaires » : ceux qui démissionnent ont de bonnes raisons de le faire, et ils sautent sans filet puisqu’ils ne seront pas forcément indemnisés. La majorité d’ »involontaires » s’est fait licencier pour des raisons économiques ou « conjoncturelles », pour « désaccord avec la hiérarchie » ou délit de sale gueule : ils ne l’ont pas souhaité. Ils travaillaient tout autant, voire plus que les autres.

Derrière le désaccord hiérarchique se cache souvent une dégradation des conditions de travail face à laquelle le salarié a osé se révolter.
Derrière les motifs économiques, il y a souvent de graves erreurs de stratégie de la part des dirigeants (Tati, France Télécom, Universal…) qui entraînent des restrictions budgétaires dont le personnel est toujours le premier à subir les conséquences. Sinon demeure l’obsession d’engranger un max’ de bénéfices, et sous prétexte d’anticiper une perte de chiffre, on s’offre une petite vague de licenciements : ça fait grimper les actions et hop!, on délocalise.

Le sentiment de culpabilité du demandeur d’emploi est le résultat pervers de la mauvaise conscience de la société face au chômage qu’elle génère de par son mauvais fonctionnement. Faute qu’elle retourne contre ses victimes en les stigmatisant avec tout un attirail de normes qui perpétuent l’inconscient collectif… Un comble d’hypocrisie !

Quand on comprend peu à peu que l’on n’est pas responsable de la situation (4 millions d’inscrits à l’ANPE = autant de coupables ?), que l’on n’est donc pas si seul que ça, et qu’il est plutôt courageux d’assumer sa soi-disant « différence » (le chômeur est un être humain comme les autres, et il y a plus d’incompétents qui travaillent que de chômeurs incompétents), alors s’ouvrent de nouvelles portes.
L’adoption d’un cadre d’injustice est le déclic qui permet de sortir de l’isolement.

Reviennent la combativité, et le désir de rencontrer de nouvelles personnes : aller frapper à la porte d’une association de chômeurs offre l’opportunité de s’informer davantage, d’échanger avec des personnes qui sont dans la même situation, et d’agir à leurs côtés. Je le dis et le répète : c’est une démarche stimulante qui brise la solitude et la culpabilité, qui redonne énergie, confiance et DIGNITÉ.

La confiance et la dignité revenues, vous pouvez envisager votre recherche d’emploi avec plus de recul et d’efficacité. Non seulement vous irez aux entretiens d’embauche avec décontraction – ce qui est un atout, car on ne recrute pas les angoissés qui se sous-estiment – mais vous vous permettrez de négocier (ce qui est très bien vu !) voire, de refuser le salaire indécent ou le poste qui ne convient pas à vos ambitions (ça peut marcher).

Le chômage est une situation inhabituelle : quand on parle d’adaptabilité en tant que qualité professionnelle, que dire du mérite de ceux & celles qui tentent de s’adapter chaque jour à l’injustice ? Les adeptes du darwinisme social feraient bien de revoir leur théorie à l’envers.

Le chômage est écolo

L’un des constats basiques que l’on fait face au ralentissement de vie qu’impose le chômage est celui de sa propre consommation : aller travailler a son coût en transport, repas, entretien lié à l’apparence, déduit du salaire. Et quand arrive le soir ou le week-end, après une semaine bien chargée, on a beaucoup plus envie de se défouler et de dépenser légitimement une partie de ce qu’on a gagné. Cette économie entraîne d’autres observations :

Ceux qui allaient travailler chaque jour en voiture seront horrifiés par les embouteillages aux heures de pointe (le bruit, l’odeur, l’énervement), et se demanderont comment ils ont fait pour supporter ça ?
Quand on fait attention à sa consommation d’eau chaude et d’électricité, on économise de l’énergie. On songe à cette écrasante majorité d’êtres humains qui n’a pas accès à l’eau courante et se couche avec le soleil.
Quand on n’achète que ce qui est nécessaire, on descend moins de poubelles.

Les privations sont désagréables, mais c’est surtout le regard des autres qui blesse. Notre monde s’appuie encore sur les apparences et le conformisme, il faut au minimum faire comme les autres ou bien « en jeter » : c’est d’un superficiel !
Plus on se passe de futilités, plus on se rend compte qu’il y a trop de produits trop chers qui ne durent pas ou ne servent à rien, sinon faire tourner artificiellement une société de consommation qui abrutit les individus et ruine de plus en plus la planète.
Qui consomme moins, pollue moins…

Le chômage, c’est du temps pour soi

L’ennui, avec ces gens qui vont bosser chaque matin, c’est qu’ils ne lisent plus et ne s’informent pas vraiment. Le boulot prend une grosse part de leur existence mais le salaire tombe tous les mois, on peut dormir tranquille, on peut même acheter des choses inutiles aux enfants, alors pourquoi se plaindre ou chercher midi à quatorze heures ?

Quand on perd son emploi, les points d’interrogations surgissent. S’informer est d’autant plus un besoin que l’on dispose à nouveau de temps pour le faire. S’informer est essentiel, et pas que pour retrouver du boulot. Quand le transitoire dure, que l’on devient victime, analyser le pourquoi du comment est incontournable pour garder son équilibre.

La télévision n’est pas parole d’évangile, loin de là : elle a pour but de délivrer un message impersonnel et pauvre en informations à une foule énorme de gens plus ou moins concernés. Cette avalanche ininterrompue d’infos insignifiantes noie le fond des messages. C’est une forme judicieuse de censure inversée où l’excès tue l’essentiel (ce qui permet de ne pas favoriser une remise en cause du système…) : à utiliser avec circonspection !
L’idéal est d’acheter la presse, mais elle a un prix. Vous avez internet : complétez cette pauvreté télévisuelle par la lecture des actualités on-line, et surfez.

Lisez ! Inscrivez-vous à la biblithèque : c’est gratuit. Rien ne vaut de bons bouquins pour réfléchir et comprendre : en voilà du temps passé de manière utile !

Il y a des joies simples et pas chères : lire, méditer, observer, rêver, écrire, créer, regarder grandir ses enfants, des tas de choses intéressantes à faire en dehors du travail ! Œuvrer pour une association, militer… Cela occupe suffisamment en dehors de la recherche d’emploi, et développe l’épanouissement personnel. Ce qu’on a perdu en pouvoir d’achat, on peut le gagner en pouvoir intellectuel.

Etre avant d’avoir

Nos sociétés riches et modernes, basées sur le consumérisme, ont fini par placer l’avoir avant l’être : on prouve sa supériorité à travers ce qu’on se paie.
Le matérialisme ordinaire, contrairement à ce qu’on croit, nous diminue. Tous ces « produits » qu’on achète comme on respire sont censés nous rendre la vie plus agréable ou plus facile, mais on sous-estime l’importance de mettre la main à la pâte et de faire avec peu (voire, de se contenter de peu).

Le chômage nous inflige une baisse de revenus parfois énorme, et il faut se débrouiller. Changer ses habitudes, brider ses envies, supporter les manques. Quand on était cadre dans une start-up avec un salaire mirobolant, voyages à l’étranger, fiestas, pavillon, 4×4 et scooter, le couperet du premier versement ASS incite au suicide. Plus dure sera la chute : ceux qui ont vécu dans une certaine opulence s’en sortiront moins bien que les humbles.

Et c’est précisément que je parle d’humilité : la valeur « argent » émousse tant de valeurs humaines. Avec le chômage, la vanité file au placard quand le grand directeur et le petit informaticien tombent au même niveau. Si l’abondance et la facilité incitent à l’inconscience, au mépris et à l’intérêt, l’égoïsme n’est plus de mise : si vous continuez à vous comporter comme un enfant gâté, vous avez tout faux, vous vous enfoncerez tout seul et personne ne vous aidera/accueillera. L’abondance et la facilité poussent aussi à la négligence : on dilapide, on gaspille, on oublie les impôts, on ne fait pas attention à ses comptes. Il y a plus d’ex gros salaires qui se retrouvent archi-endettés parce qu’ils ont commis l’erreur de ne rien prévoir que d’anciens smicards.
Quand l’abondance devient source de néant…

Le chômage est une épreuve. Financièrement appauvrissante, elle peut être humainement très, très enrichissante : devant l’obstacle, on se révèle.

Un autre regard sur soi et sur la société

Le chômage nous oblige à vivre autrement. Pour le chômeur, il va s’agir de trouver des activités et des moyens inédits pour s’adapter à ce qui lui arrive. Cette adaptation est indispensable. C’est tout un cheminement philosophique qui procède par étapes et nécessite du temps, une véritable révolution intérieure.

Il vaut mieux contrôler sa souffrance que la subir. Psy & Prozac sont un luxe ? Le savoir et la philosophie sont des remèdes efficaces et gratuits : il suffit d’aller les chercher, à la bibliothèque ou chez des copains.
Tout d’abord, je vous propose de choisir vos tendances dans « Le Monde de Sophie » de Jostein Gaarder. Grand succès commercial, ce roman destiné aux adolescents convient aussi aux adultes qui s’intéressent à l’histoire de la philo : il en vulgarise agréablement tous les courants, de ses balbutiements à nos jours, et donne envie d’en savoir plus.

Moi, j’ai un faible pour le stoïcisme.
Rester stoïque, c’est pouvoir endurer sa souffrance sans se plaindre, mais il n’y a pas que ça.
Le stoïcisme est une éthique dont l’ataraxie – la quiétude absolue de l’âme – est l’objectif. Fondé sur le savoir, c’est un principe de bonheur que l’on cultive en vivant en harmonie avec soi-même.
On accuse le stoïcisme d’être individualiste et insensible : c’est abusif. La connaissance de soi permet de mieux appréhender ce qui nous entoure (charité bien ordonnée…), il faut des limites à la compassion (sinon elle est nuisible), et l’exigence est dure parce qu’elle refuse de niveler par le bas (ce qui est plutôt noble…).
Les stoïciens considèrent que le corps n’est que l’enveloppe de l’esprit, « un vaisseau d’argile avec une pinte de sang », disait Epictète. C’est notre ESPRIT qui nous libère car, aux yeux des stoïciens, la liberté n’existe pas mais elle s’acquiert personnellement à travers le savoir et le courage. C’est l’authentique volonté qui fait qu’on obtiendra durablement un jour ou l’autre ce que l’on souhaite, non la ruse ou la force physique.
Tous les maux de l’homme (bassesse, lâcheté) s’articulent autour de la crainte de la mort. La PEUR est notre pire ennemi. Elle nous avilit par des dilemmes stupides et des compromis honteux. Elle nous rend mauvais. Se vendre, flatter autrui par crainte de la mort, de la douleur, de la misère ou de la prison sont méprisables. « Ceux qui ont peur de perdre leurs biens craignent avant tout la honte, pas la famine ».

S’affirmer sans peur est un réel pouvoir qui déstabilise l’adversaire et inspire le respect. La liberté de l’âme a un coût qu’il faut assumer – le prix de la qualité ? – mais quand on reste soi-même, qu’on refuse de ressembler aux autres, qu’on ne cherche pas à être admiré, qu’on ne ment pas, qu’on ne fuit pas son malheur et qu’on assume ses responsabilités, on peut être nu et dépossédé mais tout aussi fort, respecté et heureux. « On n’a pas besoin d’être pourvu d’honneur pour être un homme de bien ».
Si le stoïcisme méprise la faiblesse, il engage vivement à ne laisser personne nous pourrir la vie. Je vous laisse imaginer l’utilité de cette forme de pensée quand on est au chômage et que tout s’effondre, magistralement démontrée dans « Un homme, un vrai », l’excellent roman de Tom Wolfe.

A vous de puiser dans ces armes qui vont vous permettre de résister et de combattre !
Bon courage à toutes et à tous.

Sophie HANCART

 

Article : Actu Chômage

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