« Trouvez-moi du boulot, c’est votre job ! »

Samedi 9 avril 2011

Il m’faut du boulot, tout ce que vous voulez, même des ménages, je m’en fous. »

Saint Josse, commune la plus pauvre du pays, 151 nationalités, 31 % de chômeurs. Dans le bureau lumineux de l’antenne locale d’Actiris, l’office bruxellois de l’Emploi, Mehdi Khamal, conseiller, écoute Véronique, 25 ans, deux enfants, unilingue, pas de diplôme du secondaire, pas de permis.

Les portraits de jeunes mannequins souriants qui couvrent les murs tranchent avec la détresse qui suinte de la conversation. « J’ai fait une dépression et mon ancien employeur m’a virée, pour absences répétées. Du coup, l’Onem veut me suspendre les allocations. C’est dégueu, j’étais malade, pas carotteuse. Et trois mois sans alloc, je peux pas. Je suis prête à tout. »

Elle tend au conseiller un CV minimaliste. Trois petits paragraphes, trois petites expériences. Du nettoyage, de l’Horeca. Le conseiller lui suggère d’y ajouter les cinq années d’humanités.

« Même si vous n’avez pas réussi, c’est une expérience ».

Elle se détend un peu. Ose le regarder en face. Lui confie qu’elle rêve de travailler dans le secteur de la petite enfance. Le conseiller sait que sans diplôme d’humanités, sans expérience, sans formation, Véronique ne trouvera pas de travail dans ce domaine.

Elle le devine. « J’aimerais reprendre des études. Mais bon. »

Le conseiller : « Si c’est urgent, vous devez mettre nettoyage dans votre demande d’emploi. C’est le seul domaine où on ne demande pas le néerlandais ».

Elle insiste : « Vous savez, je veux travailler. Je cherche, mais le conflit avec mon ex-patron me prend la tête. »

Le fonctionnaire : « Ne vous inquiétez pas. En deux semaines, ce n’est pas anormal que vous ne trouviez pas. Mais il faut mettre quelque chose en place. S’il n’y a rien dans trois mois, ce sera différent. »

La jeune femme lui sourit, puis quitte la pièce. Mehdi Khamal commente. « Le choc de la perte d’emploi, ce n’est pas facile. Il faut parfois un peu de temps avant de reprendre le dessus. »

Il consulte son programme du jour. Fronce les sourcils. « Le suivant, je crois que ça va être un cas difficile. » Il se dirige vers la salle d’attente. Pendant ce temps, on entend des bribes de conversation aux bureaux des autres conseillers, disséminés sur le paysager. Une conseillère s’adresse à une femme africaine, vêtue d’habits traditionnels. Elle lui demande : « Un mail, vous savez envoyer un mail ? » La demandeuse d’emploi éclate de rire. « Noooon ! » Elle est inscrite illico à une formation.

Mehdi Khamal revient. Il est accompagné de Tahir, la quarantaine, le teint blanc, les cheveux en bataille, la barbe noire anarchique. Quinze ans de chômage.

Tahir a rencontré Mehdi Khamal une première fois en janvier. Le demandeur d’emploi avait paru enthousiaste pour une formation dans le secteur de la construction.

Puis plus rien.

Il a reçu deux convocations par lettre, ne s’est pas présenté. Il a fallu un recommandé assorti d’une menace de dénonciation à l’Onem pour qu’il se rendre chez le conseiller emploi.

Mehdi entame la conversation.

Pourquoi vous n’avez pas répondu aux deux convocations ?

Je me dispute tout le temps avec ma femme.

– Pourquoi n’êtes vous pas venu aux entretiens ?

Je n’ai pas reçu les lettres.

– Alors faut vous plaindre à la poste. Vous vous êtes présenté aux formations qu’on avait choisies ?

Tahir hausse le ton.

– C’est 29 euros pour s’inscrire. J’ai pas 29 euros. Ma femme veut pas me les donner. Je vais pas la battre pour qu’elle me les donne.

Monsieur, s’il vous plaît !

Quoi ?! Il faut me trouver du travail. C’est votre boulot de me trouver du travail.

Mehdi Khamal garde son calme.

Monsieur, on est là pour vous aider. Pas pour trouver du travail à votre place. Je vous demande de téléphoner au centre de formation.

Je peux pas, j’ai pas d’unité dans mon téléphone.

Mais qu’est-ce que vous voulez, monsieur, à la fin ? Trouver du travail ?

Je veux qu’on rétablisse mes allocations, moi.

Mehdi Khamal est agacé, mais ça ne se voit pas. Il ne peut pas faire grand chose pour Tahir. L’homme a été exclu des allocations de chômage, sans doute en raison de ses absences aux entretiens. Et il n’a pas droit au CPAS parce que sa femme travaille à temps plein.

Mehdi va tenter une dernière intervention : prendre contact avec les services sociaux pour voir s’ils peuvent intervenir dans le payement de la formation. Il n’y croit pas trop. « Si le CPAS ne l’accepte pas, moi, franchement, je ne peux plus rien faire. »

Mehdi Khamal retourne vers la salle d’attente. On capte encore quelques bribes de conversation à d’autres bureaux. Un jeune africain, sapé comme un prince, déclare qu’il parle trois langues. Et il le prouve, dans un néerlandais, puis en anglais impeccable.

Mehdi revient accompagné d’Anaïs, la vingtaine, Irakienne, en Belgique depuis 2006. Une wonder woman. Elle a appris le français en 6 mois, maîtrise l’anglais, les techniques de couture, de vente d’appareils ménagers et a suivi une formation de stylisme en cours du soir.

Tantôt elle regarde le conseiller, tantôt les SMS sur son portable.

« J’ai déposé mon CV chez H & M, chez Zara, mais on ne me recontacte jamais. Chez Mediamarkt, on m’a dit qu’il me fallait le néerlandais » Mehdi Khamal l’inscrit à une formation en néerlandais. Il est optimiste. « Votre parcours reflète une motivation. Je ne m’inquiète pas pour vous. »

La matinée s’achève. Tendue pour l’observateur que nous sommes. Routinière pour le conseiller. Il se lâche. Sur le bilinguisme. « Les bilingues, je les vois une fois, pas deux. Il sont engagés immédiatement. »

Sur les jeunes : « Vous savez, ce ne sont pas des fainéants. Mais ils entendent tellement qu’il n’y a pas de boulot, qu’ils n’y croient plus trop. L’esprit n’est pas très positif. »

Sur l’immigration. « A Saint Josse, ils restent souvent en communautés, parlent leur langue maternelle. Cela n’aide pas. »

Véronique, Tahir et Anaïs retrouveront-ils du travail ? Mehdi Khamal n’en saura probablement rien. Très souvent, il ne connaît pas la fin de l’histoire.

Ce samedi, il lira une fois de plus les chiffres désastreux du chômage à Bruxelles. Et lundi, il continuera son travail.

 

DEMONTY,BERNARD

 

Article: lesoir.be

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