Carte-blanche : Saigner les chômeurs pour soigner les banquiers? Inacceptable!
publiée dans Le Soir du 26 octobre 2011 |
par Thierry Bodson, Secrétaire général de la FGTB Wallonne; Alain Clauwaert, Président, Paul Lootens, Secrétaire général de la Centrale générale; Jean-Marie Constant, Président du Comité Régional Wallon de la CSC; Erwin De Deyn, Président et Myriam Delmée, Vice-Présidente du SETCA; Arnaud Lismond, Président du Collectif solidarité contre l’exclusion; Pedro Rodriguez, Responsable Francophone des Travailleurs Sans Emploi de la CSC; Guy Tordeur Secrétaire fédéral et Philippe Vansnick, Secrétaire fédéral adjoint de la CSC Bruxelles; Véronique van der Plancke, Vice-Présidente de la Ligue des droits de l’Homme; Felipe Van Keirsbilck, Secrétaire général de la Centrale Nationale des Employés; Philippe Van Muylder, Secrétaire général de la FGTB Bruxelles. Alors que l’Etat fédéral se prépare une nouvelle fois à mettre à charge des contribuables les pertes liées aux spéculations des banquiers, nous n’accepterons pas que le nouveau gouvernement demande aux chômeurs de régler l’addition. Cet été, la Ministre Fédérale de l’emploi pointait elle-même l’augmentation fulgurante des sanctions contre les chômeurs (suspensions, exclusions…) depuis l’adoption en 2004 du « plan de contrôle renforcé » et la systématisation de la transmission à l’ONEm des informations des offices de placement régionaux (de 34.000 à 108.000 sanctions annuelles en 10 ans). Les responsables politiques connaissent donc très bien les effets socialement désastreux de ce que nous dénonçons depuis 2004 comme une véritable « chasse aux chômeurs » et dont les CPAS wallons pointent également les effets catastrophiques. Nous attendons donc du futur gouvernement fédéral qu’il y mette fin. Exclure, appauvrir et scinder Nous sommes choqués que les discussions liées à la formation d’un nouveau Gouvernement fédéral ne prévoient pas de stopper l’avalanche de contrôles et d’exclusions que subissent les sans emploi, mais bien de lancer une nouvelle chasse aux chômeurs qui les rejettera par dizaines de milliers dans la pauvreté et vers les CPAS. Le contrôle et l’accompagnement renforcés des chômeurs ne créent pas un seul emploi, mais bien des avalanches de sanctions et d’exclusions. Car il n’y a pas aujourd’hui un manque de travailleurs, mais un manque d’emplois offerts. Il est cynique de forcer 100 chômeurs à multiplier des démarches de recherche d’avance inutiles s’il n’y a qu’un seul emploi disponible. Et pourtant c’est bien l’extension et le renforcement du contrôle qui sont actuellement discutés : pour les jeunes, avant même de percevoir une première allocation et même pour les plus de 50 ans ! Les chômeurs ont besoin d’être accompagnés, pas d’être harcelés. Il est inacceptable de sanctionner quelqu’un à qui on n’a pu proposer aucun emploi convenable. L’appauvrissement des chômeurs est également en discussion : les allocations des chômeurs de longue durée (pourtant déjà inférieures au seuil de pauvreté) seraient diminuées au nom du retour à l’emploi. Cela signifie dans les faits démolir un pan de la sécurité sociale fédérale et renvoyer ultimement les sans emploi vers la solidarité organisée au niveau des CPAS ou des familles pour les uns, vers le dénuement pour les autres. La « responsabilisation » des régions sur l’évolution de leur taux d’emploi risque également de les pousser à rejeter les sans emploi hors de leurs frontières (comme ce fut récemment le cas pour les demandeurs d’asile) et toute atteinte à l’unité fédérale des normes de l’assurance chômage et de leur contrôle ne manquera pas de générer à brève échéance la scission de l’indemnisation du chômage et dés lors de la formation des salaires. On le sait, dans le contexte d’évolutions démographiques différentiées certaines forces nationalistes ne verraient pas cette scission d’un mauvais œil, tandis que le patronat y trouverait un nouvel instrument majeur pour mettre en concurrence les travailleurs des différentes régions et casser les protections sociales. Refusons que l’on brade la sécurité sociale A coup de réformes fiscales injustes, les richesses se sont accumulées dans quelques mains. Comme l’indiquait Le Soir ce 13 septembre, « La richesse globale (hors immobilier) des Belges a dépassé pour la première fois, fin 2010, le cap des 900 milliards d’euros […] En deux ans, les actifs totaux détenus par des particuliers belges ont ainsi gonflé de plus de 100 milliards d’euros ». Pour soutenir l’emploi, l’Etat fédéral doit mobiliser ces richesses et non saigner les chômeurs. Nous ne voulons pas d’une société à l’américaine, toujours plus inégalitaire, où l’indemnisation limitée dans le temps du chômage crée une horde de travailleurs pauvres. Ce modèle a échoué là-bas, nous refusons qu’on nous l’impose ici. L’assurance chômage est un pilier essentiel de la sécurité sociale, dont nous avons hérité des luttes antérieures. Elle organise la solidarité entre les travailleurs, entre les régions et oblige les employeurs à offrir au moins une rémunération et des conditions de travail minimales. Nous refusons que l’on brade la sécurité sociale et la solidarité nationale en prétendant les sauver. Nous refusons que l’on fasse payer les chômeurs pour financer les banquiers. Nous en appelons à un large débat public, à l’élaboration d’un projet d’avenir équilibré qui ne se fasse pas sur le dos des sans emploi et, au besoin, à la mobilisation sociale et citoyenne pour défendre l’assurance chômage, part essentielle de la sécurité sociale fédérale construite par les travailleurs de ce pays. |