D’utiles écrits d’inutilisés
THUIN
Paroles de chômeurs – Écrits d’inutilisés… Ce petit livre était au coeur d’une rencontre organisée vendredi par le CPAS et Vie-Esem.
En 2007, un projet d’écriture, visant à parler du vécu des travailleurs sans emploi, émerge au sein de l’organisme d’éducation permanente CEPAG (centre d’éducation populaire Arthur Genot, qui chapeaute la locale thudinienne Vie-ESEM). «À la base, il y a une question : comment vivre avec 300 ou 600€ par mois? Mais pas question de sortir un livre sur les politiques de la débrouille» explique Daniel Draguet, de la CEPAG. Il s’agissait plutôt de les faire parler de leur vécu, de leur ressenti face à l’exclusion sociale et culturelle; en gros comment rester citoyen et jouer un rôle dans la société quand on est travailleur sans emploi». Et pour sortir de cette exclusion, rien de mieux qu’un écrit, qui plus est publié et diffusé. Et collectif, pour l’émulation et la prise de confiance. «Les gens ne sont pas toujours compréhensifs, explique Dominique L. l’un de ces «Manoeuvres de l’écriture» auteurs de l’ouvrage. On passe pour des moins que rien. Alors on essaie de participer à des ateliers qui nous apprennent autre chose, on s’enrichit mutuellement, intellectuellement».
Un lieu de parole
L’écriture, en elle-même, est venue naturellement, même chez ceux qui, a priori, ne la pratiquaient quasiment pas. «L’atelier d’écriture, c’était d’abord un lieu de parole, de structuration des idées, explique Fideline Dujeu, écrivain et animatrice déléguée auprès du groupe par la Province de Namur. Après, les phrases viennent toutes seules, et se retrouvent telles quelles dans le livre». Elles traduisent avec pudeur le ressenti de leurs auteurs. Avec aussi une franchise qui peut heurter, mais que l’animatrice n’a pas voulu éluder. «Il a fallu un peu batailler pour garder certains de ces écrits qui témoignaient de ce que le chômage est parfois un choix. Mon exigence, c’était le respect du droit à l’authenticité, et non utiliser ces écrits pour faire passer un message politique» .
Pratiquement, en 2008, les candidats-écrivains se sont retrouvés une quinzaine de journées, à raison d’une fois par semaine, avant un séminaire de deux jours qui a permis de classifier, ordonner, définir en chapitre les nombreux écrits récoltés. Ils étaient 27 au départ, et seulement 9 à la fin du projet. Lassitude, découragement? «Pas forcément, au contraire, mais certains, engagés dans un plan d’accompagnement de l’Onem, ont dû privilégier la recherche active d’emploi; d’autres ont été engagés dans des ALE ou ont entrepris des formations qui ne leur laissaient plus le loisir de participer à l’atelier » défend Daniel Draguet. Malgré cela, des traces de leur participation restent dans le livre édité en 2010 par les Éditions du Cerisier.
Avec encore un écueil à surmonter, avant de pouvoir prolonger le projet lors de présentations telles que celle réalisée vendredi à Thuin.
Source de tracasserie
Cet écueil est lié à la publicité faite aux auteurs de ces écrits via une diffusion tout public. «Dans ces écrits, il y a un investissement très personnel, qui mérite reconnaissance », expliquent Daniel Draguet et Fideline Dujeu. Il importait donc de traduire concrètement cette participation personnelle, par l’octroi de droits d’auteur. «Il ne s’agit que de quelques centimes qui ne dépassent pas le plafond autorisé, et donc permettent de continuer à percevoir les allocations; mais cette source de revenus, liée à un investissement personnel, est aussi source de tracasserie administrative. Il faut rentrer une déclaration de participation et de droits perçus… Cela peut rebuter» explique Daniel Draguet. Au bout du parcours, difficile mais enrichissant humainement et intellectuellement, il y a ces échanges, avec d’autres travailleurs sans emploi, en formation, en intégration… «Ce sentiment d’inutilité, c’est comme si c’était moi », réagit l’un des participants à la lecture d’un passage du livre, lors de la rencontre de vendredi. De l’énoncé des écrits naît un flot de paroles, qui traduisent le malaise. «Certains ne gagnent pas plus en travaillant qu’en étant au chômage, et doivent tout autant surveiller leurs dépenses. La différence, c’est qu’en rentrant chez soi, on a quelque chose à raconter ».
Le débat s’engage, d’autres vécus s’expriment. Pari gagné, la parole des chômeurs s’est libérée pour contrer l’exclusion et l’ostracisme.
«Paroles de chômeurs, écrits d’inutilisés», Les Manoeuvres de l’écriture. Éditions du Cerisier, 2010. En librairie, 9€.
Nathalie BRUYR
Article: Lavenir.net